A report by Magali Clerbaux (FR).
Il y a quelques semaines, une notification Whatsapp attire mon attention: “Il y a un BRM200 au départ de Tervuren le 18 novembre”
Pas besoin de nous en dire plus, on ne refuse pas quelques longues sorties pour traverser l’hiver en limitant les dégats! Portées encore par l’enthousiasme de nos dernières vacances à vélo en montagne, et excitées parce que bon, on ne fait pas un 200 toutes les semaines (je parle pour nous ;)), l’enthousiasme est contagieux et nous voilà cinq au départ samedi matin: 4 BBB (bienvenue Charlotte) et un copain pour qui pareille distance est une grande première.
Le jour pointe le bout de son nez et colore le ciel d’un rose-orange vif alors qu’on roule – encore au sec – jusqu’au point de départ. Petit cadeau à celles et ceux qui se lèvent tôt.
Les premiers kilomètres défilent, c’est plat de chez plat, on a le vent dans le dos, et la trace concoctée nous gâte entre les nombreux sites propres et l’asphalte roulant, le tout saupoudré de couleurs automnales. La pluie nous rattrape et bientôt nos talents d’acteur nous seront utile pour faire semblant de comprendre la dame du café au premier checkpoint, alors qu’on dépose naïvement nos gants trempés sur le chauffage. Même les bilingues d’entre nous ne comprennent pas grand chose à son discours, mais le carrot cake de la boulangerie d’en face et le fait d’être au chaud nous suffisent amplement à ce moment-là. 62 kilomètres de faits.
Les feuilles sur la route entrent dans la danse mais on s’en accommode assez bien.
On redémarre en poussant un peu pour se réchauffer, l’écart de températures est brutal et on est déjà pas mal trempés. On longe longuement le canal, les feuilles sur la route entrent dans la danse mais on s’en accommode assez bien. La pluie est si forte qu’on rigole de l’absurdité de la situation, je me dis que j’ai de la chance d’être entourée d’autres cyclistes aussi fous·folles que moi que pour prendre le départ ce jour-là en sachant pertinemment bien ce qui nous attendait. On se force à manger régulièrement. C’est déjà pas l’aspect le plus simple à gérer de bien s’alimenter sur une longue distance, mais on découvre le plaisir de faire tout ça avec des gants épais.
Après une centaine de kilomètres, on est proches de la frontière avec les Pays-Bas, à Lommel, et la trace vire au sud vers Leopoldsbourg. Hello, vent de face, nouveau compagnon de route qui ne nous lachera pas jusqu’à chez nous. Au kilometre 111, on regarde ce qu’il reste du morceau de papier trempé indiquant les checkpoints et on se met en quête de la taverne “Draker”. A 100 metres, on passe devant “Drakar”, je gueule un bon “stop”, persuadée que c’est là. Le temps que tout le monde s’arrête, le groupe se divise entre ceux qui veulent partir en quête de “Draker” et non “Drakar”, et ceux qui sont convaincus que c’est bien là. On perd un membre dans l’affaire qui fera l’impasse sur ce checkpoint et finira son 200 solo. Nous voilà à 4 au chaud à nouveau, un essuie de vaisselle sous les fesses pour épargner leurs coussins de chaise. Deux options sur la carte: Vlaai of lasagne. Va pour la lasagne. Keuken gesloten, pas de lasagne. On fouille nos sacoches en quête d’alimentation plus intéressante qu’encore des sucres rapides et on partage sandwichs, biscuits salés, tout en enfilant les speculoos servis avec le café et tout autre aliment sur la table. On a besoin de nourriture, de vraie. Après quelques fous-rire pendant que le déluge continue dehors, on se remet en selle.
Keuken gesloten.
Pas de lasagne.
On avance plus lentement, le vent de face, la pluie, l’absence de vrai repas, les kilometres enchainés. Il est 15h30, il nous reste une bonne heure avant que la pénombre pointe le bout de son nez. On essaie de rester groupés face au vent, les rythmes sont différents par moment, chacun son tour a son moment de galère, mais on a une chose en commun: la détermination. On sillonne de petites routes pleines de virages sans éclairage public et je suis les lucioles rouges devant moi qui me montrent le chemin à travers la nuit.
Arrivé·es à Diest, une supérette nous sauve et on emporte du thon et du pain pour le checkpoint à quelques kilomètres. Une d’entre nous est contrainte d’arrêter là à cause d’une forte douleur et perte de puissance dans la jambe. A trois, nous continuons vers un checkpoint fermé, c’est vraiment les checkpoints les plus éclatés qu’on a connus ! On s’arrête à un café un peu plus loin, qui sera la lumière dans nos longues heures de pédalage nocturnes. La dame allume le chauffage pour y poser mes chaussures, je me change de la tête aux pieds (amen à la tenue de rechange prévue), elle a pitié de ma carte à cacheter en décomposition et la pose sur le radiateur également, prend une photo en souriant de la table bordélique entre toutes nos affaires qui sèchent, le gps qui charge, le casque qui dégouline, et la conserve de thon ouverte qui trône au milieu de tout ça, pendant qu’on dévore notre sandwich, submergés par l’accueil si chaleureux de trois clampins qui salissent tout sur leur passage.
On voit l’heure avancer, le délai de 13h30 autorisé partir en fumée, et collectivement on décide qu’on veut arriver au bout, ensemble, et profiter.
On finit par repartir, ça sent la fin et pourtant il reste encore 45km, +10 pour la maison. Pas le moment de baisser la garde, il faut continuer à manger, manger, boire, manger. Un gel en SOS, rouler ensemble et mettre à l’abri la personne le plus en difficulté à ce moment-là. On voit l’heure avancer, le délai de 13h30 autorisé pour parcourir la distance partir en fumée, et collectivement on décide qu’on veut arriver au bout, ensemble, et profiter, tant pis pour le temps. On s’habitue au noir, l’ambiance est plaisante, les routes sont calmes, et la pluie a cessé. Tous les cinq kilomètres, je crie le nombre de kilomètres restants pour motiver les troupes. On commence à reconnaitre le coin. Leuven. Leefdaal. Vossem. Tervuren. Le parc. On y est. On l’a fait. Satisfaction et retour maison serein·es comme on l’est après une journée en selle, entouré.es de copain·es de route, porté·es par la solidarité et l’amitié, la passion du vélo. Quand est-ce qu’on recommence?
Magali Clerbaux