Race Across Belgium 2025

560 kilometers. A positive elevation gain of 5,600 meters. More than 20 hours in the saddle. That was Race Across Belgium.
Report (FR) by Félix d’Ursel, from BBB Development Team.

Dans le sas de départ, j’essaie de rester concentré, dans ma bulle jusqu’à la dernière seconde, musique dans les oreilles, pieds dans mes pantoufles. Un bénévole vient me voir et me dit : « Ça va être à toi, enfile ton vrai casque maintenant. » Je m’exécute et mets mon casque et mes chaussures. On me donne mon tracker, que je m’empresse de fourrer dans ma sacoche sans y prêter plus d’attention. Sur la ligne de départ, j’attends mon tour. Et puis : 3, 2, 1… c’est parti.

Je passe les premiers kilomètres sur un nuage. J’essaie de ne pas pousser trop fort, mais je dépasse concurrent après concurrent, et ça me motive de plus en plus.

Premier secteur pavé : dans la bande roulante, je dépasse même une voiture. Quand soudain, un mec habillé tout en rouge, sur un vélo rouge, me dépasse à une vitesse phénoménale. Je me dis d’abord qu’il ne doit pas faire partie de la course, mais je vois sa plaque de cadre : il participait bel et bien. Je me dis : « Lui, il ne faut pas que je le lâche si je veux gagner. » J’essaie donc de me maintenir à une cinquantaine de mètres pour être sûr de ne pas le perdre.

Premier secteur gravel... première crevaison

Le premier secteur gravel arrive, et je n’aime pas du tout ça. Mon vélo de route et mes pneus de 28 mm souffrent. Soudain, l’avant de mon vélo est tout mou. Je me dis que ce n’est pas possible. Je lève la tête : le mec en rouge est déjà hors de mon champ de vision. Je perds complètement mon sang-froid et j’essaie maladroitement de réparer. Je me fais dépasser par beaucoup de concurrents. Dans leur regard, je crois lire : « Bah alors, on est parti trop vite ? » Je n’aime pas du tout ça. Avec le stress de la crevaison et l’adrénaline, je pense même à abandonner. Je me rappelle le gagnant du 1000 km, arrivé pendant notre briefing, qui a gagné malgré une crevaison. Je m’imagine expliquer à mes proches que j’ai abandonné dans la première heure à cause d’une simple crevaison… Impossible. Je change ma chambre à air hâtivement, j’utilise une cartouche de CO₂, et je repars. Pendant les kilomètres qui suivent, j’ai l’impression de perdre de la pression à chaque fois que je regarde mon pneu.

Pendant les kilomètres qui suivent, j’ai l’impression de perdre de la pression à chaque fois que je regarde mon pneu.

Petit à petit, je me mets dans mon rythme. Le Smeysberg passe sans problème. Je connais ces routes par cœur. Petit à petit, je dépasse des petits groupes de coureurs. On commence à arriver sur les RAVeL. Je sais que ma force est sur le plat, donc j’accélère. Je regarde le classement pour la première fois, et je suis très déçu de découvrir que je suis 7ᵉ. On se rapproche du mur de Huy. Je rattrape un concurrent et discute un peu avec lui. Il me dit qu’il ne connaît pas les pavés ni le Thier de Huy. Je lui conseille donc de s’économiser dans le mur pour garder de la force pour le Thier. Au feu rouge juste avant le mur, on rattrape encore un concurrent (Bart). On entame le mur à trois donc : Bart et moi à un tempo vraiment posé, et l’autre concurrent à un rythme plus soutenu.

En haut du mur, Bart me dit qu’il va s’arrêter prendre de l’eau. Je continue. Le concurrent devant est encore tout juste dans mon champ de vision. Dans le Thier de Huy, j’aperçois à peine sa roue arrière. Arrivé en haut du Thier, je me dis que j’ai besoin de caféine. Pour ne pas m’arrêter trop longtemps, je m’arrête à côté d’un passant pour lui demander d’attraper le Monster dans mon sac. Après m’avoir regardé de haut en bas comme si je débarquais de Mars, il me passe mon Monster. Cinq secondes d’arrêt au total. Je repars avec le Monster dans la main et l’ouvre en roulant. J’en fous partout. Je le bois en roulant, et pour éviter de m’arrêter, je fourre la canette dans mon maillot en me disant que ça me rend plus aéro.

Du Mur de Huy à la Citadelle de Namur

À ce moment-là, on commence à longer la Meuse entre Huy et Namur. Le parcours était beaucoup moins vallonné qu’à la reconnaissance : tant mieux. Je me sers encore une fois de ma force sur le plat pour me mettre aux environs de 40–45 km/h et y rester. Je rattrape le concurrent qui m’avait distancé dans le Thier de Huy : il s’arrêtait pour manger et boire.

Dans la citadelle, c’est l’extase. Je sais que je suis 3ᵉ ou 4ᵉ, les jambes sont au top. J’ai peine à y croire, et ça me donne plein de force pour la suite. À la sortie de Namur, je me fais encourager par des gens venus voir la course : encore un coup de fouet au mental. Dans les derniers kilomètres avant la base de vie, je rencontre Luc. On discute un peu. Il me dit que les deux devant ont un niveau stratosphérique, que c’est incroyable. Luc me dit également qu’il pense s’arrêter max 15 min à la BDV, contre 30–40 min prévues pour ma part. Ça me met le doute, mais je décide de rester sur ma stratégie de base.

Dans la citadelle, c’est l’extase. Je sais que je suis 3ᵉ ou 4ᵉ, les jambes sont au top.

Les secteurs pavés des derniers kilomètres font vraiment mal au mental. Heureusement, j’arrive à la BDV et Benoît est là pour m’accueillir. Le passage à la BDV se passe bien, j’arrive à manger un vrai repas. Je n’ai pas envie de repartir. Me dire qu’il me reste plus de 330 km me brise le mental. Heureusement, Benoît ne me laisse pas le choix et me force sur mon vélo. Je repars de la BDV en 5ᵉ position alors que j’étais arrivé 3ᵉ. À ce moment-là, j’ai vraiment le moral dans les chaussettes.

Dans le dur

Les kilomètres sont durs, le temps est long. En plus, je me fais rattraper par Bart qui a l’air frais comme un gardon et me parle avec une légèreté, comme s’il n’avait fait que 50 km. Il me dépasse et je me dis que la course est encore longue et que je vais continuer à mon rythme.
Papa m’appelle, je lui dis que je suis dans le mal et que j’ai envie que ça s’arrête. Il me dit que si ça fait si mal, je devrais peut-être ralentir un peu. Je lui demande quantième je suis ; il me répond que je suis 7ᵉ. Il ne sait pas lire une cartographie visiblement, car j’étais en réalité 5ᵉ. Cet appel a fait l’effet inverse de ce qu’il aurait dû : il me redonne l’envie de me battre. J’avais beau avoir encore plus de 300 km à parcourir, le moteur était de nouveau en route.

Je dépasse Bart, mais je sens que je manque de pression dans le pneu avant. Je me dis que je ne préfère pas risquer une 2ᵉ crevaison. Je décide donc de demander à un passant si je peux gonfler mon pneu chez lui. Bart n’a pas manqué cette occasion pour me dépasser.
Les kilomètres défilent, les secteurs pavés sont redoutables.
Je dépasse Bart à un feu rouge et continue sur mon propre tempo. La nuit tombe, il commence à faire froid. Je décide de m’arrêter pour enfiler toutes mes couches. Je fais un arrêt express pour éviter que Bart ne me dépasse ou qu’il voie mon feu arrière. En regardant le tracker après la course, je me suis rendu compte que ça s’est joué à la seconde près. Je repars, prêt à ne plus m’arrêter jusqu’à l’arrivée. La nuit continue, les secteurs pavés s’enchaînent. J’attends avec impatience Roeselare, ville à partir de laquelle j’avais déjà reconnu la trace. Une fois passée cette ville, il ne resterait “que” 200 kilomètres.

J’attends avec impatience Roeselare, ville à partir de laquelle j’avais déjà reconnu la trace. Une fois passée cette ville, il ne resterait “que” 200 kilomètres.

Peu avant Roeselare, je roulais sur le canal à mon rythme quand, tout d’un coup, je remarque que je vois ma propre ombre dans mon phare. Je me retourne et voilà Bart. À ce moment-là, je me dis que je n’ai vraiment pas envie de perdre une place maintenant. Il se met à mon niveau, on discute et il me dit qu’il doit encore s’arrêter à Roeselare pour mettre ses vêtements de nuit et se ravitailler en eau. On roule ensemble jusqu’à Roeselare et, au moment de s’arrêter pour prendre de l’eau, je me rends compte que le mec habillé tout en rouge du début est arrêté également, en train de se ravitailler.
Il ne m’en a pas fallu plus pour me dire que ça pourrait éventuellement être ma seule chance de prendre un podium. Je trace donc ma route alors que les deux autres s’arrêtent. J’essaye d’accélérer pour être sûr, mais il ne restait plus grand-chose dans les jambes.

Podium en vue ?

Je n’ose pas y croire : 3ᵉ sur une Race Across, c’est complètement fou. Changement d’objectif dans ma tête : protéger cette place à tout prix.

Benoît m’appelle et essaye de me motiver à aller chercher la 2ᵉ place, mais je lui dis que je préfère finir à la 3ᵉ place que d’exploser en allant chercher la 2ᵉ.

À l’assaut du Kemmelberg maintenant. Heureusement que je l’avais fait à la reconnaissance celui-là. Je décide de marcher dans la montée pour me reposer les muscles et ne pas trop me fatiguer.

Après le Kemmelberg, la trace nous amenait sur quasiment 80 km de plat le long du canal. À la reconnaissance, le canal m’avait semblé relativement chouette, mais ça s’est révélé être un enfer. Je savais que Bart était également très puissant sur le plat, car c’est à chaque fois là qu’il m’a rattrapé : 2m10 pour 95 kg quand même. Je devais donc absolument le maintenir à distance jusqu’aux monts pavés si je voulais garder cette 3ᵉ place.

Le long du canal, j’ai éteint le cerveau. Que c’était dur. Tout mon corps me suppliait d’arrêter. La position sur les prolongateurs au niveau des fesses, et la position normale était insupportable au niveau des mains. J’ai poussé très loin dans la douleur à ce moment-là. J’essayais de me mettre un peu en danseuse pour changer, mais rien n’aidait vraiment.

Le long du canal, j’ai éteint le cerveau. Que c’était dur. Tout mon corps me suppliait d’arrêter.

Pour couronner le tout, il faisait nuit noire. Je me retournais sans cesse pour vérifier que Bart ne revienne pas sur moi. Je cherchais également le phare de Luc du regard sans cesse, mais les lumières rouges des éoliennes m’ont donné des faux espoirs à la pelle.

En arrivant à Courtrai, je reçois un appel de Maman. J’essaye de lui expliquer à quel point j’ai mal et à quel point je suis à bout, mais aucun mot ne sort, aucun mot n’est assez fort pour exprimer la douleur que je ressens à ce moment-là. Je calcule avec elle combien d’heures il me reste à tenir avant le lever du soleil.

Même pas 10 secondes après avoir raccroché, j’aperçois le pattern clignotant familier d’un radar Garmin. Je crie de joie dans le silence de la nuit, je lève les deux bras sur le vélo comme si je venais de gagner une étape du Tour. Je savais que le plat était presque fini. Si j’arrivais à maintenir Bart à distance pendant encore 20 km, ma 3ᵉ place était en sécurité, et la lumière du radar de Luc allait me donner un tempo constant à suivre et à tenir sans avoir peur de me cramer.

Je me suis dit que l’idéal était de rester à ± 500 mètres de Luc.

À l’approche du Helleberg, j’essaye d’économiser un maximum de poids. Je goûte une de mes flasques de patate douce et je me rends compte qu’elle est devenue acide à cause de la chaleur. Je vide tout, et 600 grammes de gagnés pour tous les monts pavés. Après le Helleberg, le fameux Kwaremont, alors que j’essayais de rester dans mon rythme je me rends compte que le flash reconnaissable du radar de Luc se rapproche de plus en plus. Dans le Kwaremont je reviens a son niveau, je lui explique a quel point je suis content de le voir et de enfin pouvoir parler a quelqu’un après plus de de 5 heures de solitude totale dans la nuit. Lui aussi a eu une nuit compliquée. Je suis vraiment content de discuter avec lui mais je me rends compte assez vite qu’il n’est plus complètement lucide et qu’il est vraiment dans le rouge. Il me dit que le premier est un tank et qu’il n’est pas prêt de s’arrêter. 

Un final dantesque dans les monts

Dans la montée du Paterberg, je me rends compte que nos tempos ne collent vraiment pas et que je me tire une balle dans le pied à rester avec lui. Mon objectif à ce moment-là étant de protéger ma 3ᵉ place, j’hésite à le dépasser. Mon esprit de compétition prend le dessus et je me dis : “Si je prends la 2ᵉ place, je la prends bien.” J’accélère donc en essayant de ne pas me mettre dans le rouge.
Dans le Koppenberg, je prends la décision de marcher la partie la plus raide pour me reposer les jambes, les fesses et les mains. À ce moment, je vois le phare de Luc éclairer le bas du Koppenberg. Je me dis que j’ai moins de temps que ce que je pensais et que Luc n’était peut-être pas tant dans le rouge que ça. En haut du Koppenberg, je mets donc vraiment le tempo. Peu avant d’arriver au mur de Grammont, je regarde le tracker et je me rends compte que je suis à distance égale entre Luc et le 1ᵉʳ.

Je sentais le lactique dans mes jambes. Le soleil commençait enfin à éclairer les champs autour de moi. J’étais complètement à bloc.

Le 1ᵉʳ avait le dossard 512, ce qui veut dire qu’il était parti 8,5 min avant moi et que j’avais donc droit à 8,5 min de retard pour quand même gagner.
C’était la première fois que je pensais sérieusement à la victoire. J’ai 70 kilomètres pour réduire un maximum l’écart.
Pendant ces kilomètres, je regarde le classement toutes les 5 minutes. J’espérais que Julien (premier à ce moment-là) ne regarde pas le tracker et ne se rende pas compte que j’étais en train de revenir sur lui. Malheureusement, il savait très bien à quel jeu je jouais. On a donc tous les deux commencé à rouler comme des brutes et à accélérer à chaque occasion. 70 km à bloc après 500 kilomètres, c’est du jamais vu. Je sentais le lactique dans mes jambes. Le soleil commençait enfin à éclairer les champs autour de moi. J’étais complètement à bloc.
Pendant toute la nuit, je n’ai pas arrêté d’avoir le nez qui coulait et je me mouchais donc beaucoup pour respirer le mieux possible. Tout d’un coup, alors que j’étais à bloc, je me mouche et vois du rouge sortir de mon nez. Super, vraiment ce dont j’avais besoin… Tout en roulant, j’ouvre ma poche médicale et fourre hâtivement un mouchoir dans mon nez pour arrêter le saignement. Je continue à pousser et accélérer pour essayer de grappiller encore des secondes sur Julien.


Dans ces kilomètres-là, j’avais l’impression que mes genoux allaient imploser. Si j’arrêtais de pédaler ne fût-ce qu’une seconde, je n’allais pas être capable de recommencer.
À Hal, ma famille m’attendait pour me voir passer. Ils me disent que j’ai plus de 8 min de retard sur Julien. Super tendu donc.
Dans une montée du bois de Hal, j’explose en plein vol, je ne suis même plus capable de pousser plus de 80 watts. Je décide de vider toutes les gourdes qui me restent pour économiser un peu de poids.
Penser aux regrets que j’aurais de rater la victoire à quelques secondes me donne un second souffle, et je trouve encore la force de mettre 800 watts dans la dernière montée.
Je passe la ligne d’arrivée, personne ne sait qui gagne. Je vois Julien pour la première fois de la course, on se félicite mutuellement pour les 70 kilomètres dantesques qui viennent de s’écouler, je m’écroule par terre.
On attend les résultats. Le suspense est insoutenable. Les résultats tombent : Julien gagne pour 56 secondes.
Je termine donc 2ᵉ en remportant ma catégorie d’âge. Si seulement je n’avais pas crevé…
Quelles émotions ! Je n’osais pas rêver d’un podium avant de partir et je me retrouve à quasiment râler car je ne gagne pas.


Au final, j’aurai parcouru 560 kilomètres avec 5 600 mètres de dénivelé en 21:30:24, soit 28 km/h de moyenne sans les pauses. J’aurai poussé 210 watts de puissance normalisée.

Félix.

📸 Félix d’Ursel / RAB / DR

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