A report by Magali Clerbaux (FR).
31 mai, digue d’Ostende, il est 19h. On vient d’avaler une dernière portion de pâtes avant le départ. On trouve facilement la masse constituée d’une bonne centaine de personnes vêtues de lycra et de jaune fluo, accompagnés d’une multitude de vélos choyés et d’un tas de sacs. Chacun s’affaire à ses derniers préparatifs, fixer sa balise, identifier le cycliste et le vélo avec le numéro de dossard, remplir les bidons et filer aux WC le pot de crème de chamois à la main – discretos même si on le fait tous; et si pas tu devrais essayer – ; que de logistique pour s’occuper alors qu’au fond c’est l’émotion, l’excitation du départ, l’appréhension de l’inconnu qu’on a imaginé si longtemps et qui commence pour de vrai à l’instant, le vent qui souffle si fort mais pour une fois on l’aura dans le dos alors on se dit que tout ira bien.
24h POUR PARCOURIR 367KM ET 4000m D+
Et puis, comme à chaque fois, peu importe le défi, la taille, l’heure du jour ou de la nuit: la plénitude au bout de quelques coups de pédale. Le plaisir du vélo à l’état brut. La confiance que ça ira, et peut-être même qu’en plus d’arriver au bout, ça sera chouette. On laisse l’inquiétude là où elle était, on emporte les jambes, le ravito, la bonne compagnie et le gps annonçant l’arrivée à 367km. Par groupes de 5, on s’élance avant la tombée de la nuit. Anne et moi nous frayons un passage pour ne pas partir dans les derniers comme on n’est pas les plus rapides (l’appréhension était encore là à ce stade, rappelez-vous). On forme un groupe avec trois autres gars, le calcul est bon, c’est parti!
La plénitude au bout de quelques coups de pédale. Le plaisir du vélo à l’état brut.
La chance nous sourit; ces gars sont carrément sympas et on roule à une vitesse similaire, de quoi rouler ensemble à travers la nuit. Les 80 premiers kilometres sont plats et le vent nous aide, ils défilent et nous motivent. Il fait noir depuis un moment quand on arrive à Oudenaarde, où un énorme point lumineux attire notre attention: le night shop et les phares d’une trentaine d’autres participants qui ont la même bonne idée, c’est l’heure du ravito avant de prendre le tunnel de la nuit. Merci au gérant qui a repris tous nos déchets et nous a ouvert les portes de sa maison pour la toilette (c’est parfois un avantage de n’être que peu de femmes sur ces évenements ;)); et derien pour le chiffre d’affaire de l’année!
Appréhension numéro 1 : la nuit. Je n’ai jamais roulé de nuit, jamais fait une telle distance, jamais autant de d+ en une sortie. Et je ne sais pas comment je vais réussir à rester éveillée, encore moins comment je vais pouvoir rouler le lendemain après une nuit blanche. Le coca, l’adrénaline, l’envie furieuse d’y arriver, l’excellente compagnie, les jeux de mots pourris à chaque village pour rythmer l’avancée (Silly jokes, tu l’as?) – plus efficaces d’ailleurs que les rails de tram, qui réveillent certains mais en assomment d’autres – l’entraide quand l’un de nous a un coup de mou, l’orga qui nous traque quand on s’éloigne de la trace pour trouver un buisson (j’ai déjà dit qu’on était peu de femmes?), les routes en mauvais état et sans éclairage me gardent éveillée comme jamais et après quelques heures, le jour se lève déjà.
Plus que quelques kilomètres et le CP de Walcourt apparait sous nos yeux, on a déjà 192 bornes dans les jambes et c’est passé comme une lettre à la poste. J’essaie d’avaler une soupe, sans succès. Je découvre le silence religieux dans la salle, la foule de cyclistes allongés, à même le carrelage sous une couverture de survie, ou confortablement emmitouflés et sur un matelas douillet. J’opte pour le podium de la salle, le sol en bois sera moins froid. Je retire tout ce qui est mouillé par la pluie, étale mes affaires partout et enfile une tenue sèche, ma doudoune, enfonce mes boules Quies et mets un réveil 45min plus tard.
Je n’ai jamais roulé de nuit, jamais fait une telle distance, jamais autant de d+ en une sortie.
Appréhension numéro 2: la digestion. Après plusieurs BRM200, je sais qu’au-delà du KM 160, ça devient compliqué. Va savoir comment je vais gérer ça sur 370. Au réveil, j’ai la nausée, le ventre va mal. Je vois des copains obligés d’abandonner et je me motive à redémarrer malgré mon état second et l’impossibilité de manger. Je charge mon vélo d’un nouveau stock de nourriture, remplace les patins de freins fondus par la pluie, et on redémarre à cinq. Allé, plus qu’une “sortie vélo de 180km en journée” et on y sera, “ça on a déjà fait”.
Rouler en groupe a beaucoup d’atouts, mais demande aussi de s’adapter aux besoins des autres en permanence alors qu’on apprend chacun encore à gérer son propre effort, ce défi étant une première pour tous les cinq. Le dénivelé se fait plus marqué, la fatigue aussi, et l’accordéon s’installe. Après quelques heures, on décide d’avancer chacun à notre rythme et Anne et moi poursuivons notre route ensemble. Les messages d’encouragement des potes me donnent des ailes et malgré le système digestif toujours HS, je roule avec plaisir. Objectif frontière française, puis objectif remonter en face depuis la Meuse et repasser en Belgique, où mon plus grand fan (merci papa) m’attend avec des pâtes, du coca, du soutien moral et logistique : mettre le gps à charger, remplir les bidons, pendant que je m’allonge et relève mes jambes en mangeant des chips – tension basse de merde.
Plus que 100km, il est 14h, il drâche et il reste encore beaucoup de dénivelé, mais la pause nous rebooste. Il nous reste 6h pour finir dans les temps, il faut qu’on avance. Les paysages sont beaux, le moral est bon, l’avancée est parfois lente, on est trempées de la tête aux pieds mais on a l’habitude et je souris d’ouvrir et fermer ma veste toutes les 10 minutes. Ma digestion va miraculeusement mieux et je peux à nouveau m’alimenter correctement. A 70km de l’arrivée, je commence à voir des étoiles – foutue dysautonomie. C’est ça aussi d’avoir une maladie chronique, elle ne prend pas de pause juste quelques heures le temps d’aller rouler; et il faut apprendre à minimiser et gérer les symptômes en route. Je trouve un arrêt de bus avec quelques centimètres carrés de sec et m’allonge, les jambes levées contre la parroi en plastique, et bois mon breuvage (ça goutte l’eau de mer à peu de choses près) en priant pour que ça passe.
Ma binôme est blessée au genou et chaque côte est une torture. Je vois l’heure avancer, et à contre-coeur je décide d’y aller pour augmenter mes chances de finir dans les temps, j’y tiens
La fin approche et ne m’a jamais parue si loin en même temps, 70km c’est peu et c’est quand même encore plus de 3h. Ma binôme est blessée au genou et chaque côte est une torture. Je vois l’heure avancer, et à contre-coeur je décide d’y aller pour augmenter mes chances de finir dans les temps, j’y tiens. Je roule les 3 dernières heures à bloc, rattrape 2 de nos 3 amis du début: “Vous pensez qu’on peut finir dans les temps?” – “ça me parait compromis” – “Ok, moi je vais essayer, salut!”. Je dépasse tous ceux qui semblent s’être dit la même chose qu’eux et font des pauses, pendant que je roule le plus vite possible – ce qui n’est toujours pas très rapide avec ces nombreuses côtes et mes patins de freins qui sont à nouveau quasi inexistants, je n’ose donc pas prendre trop de vitesse en descente. Je me demande sincèrement d’où me vient l’énergie de pousser encore pendant trois heures complètes, sans m’arrêter, plus de 20h après le départ. Les jambes sont bonnes, je me force à continuer à manger, et je ressens une joie immense de savoir que je suis capable d’aller au bout. Virton apparait, quelques derniers virages, les derniers kilometres, il me reste encore plus de 30 min pour finir dans les temps, ça va le faire. Je suis accueillie au son de casseroles sur lesquelles on tape, je laisse mes pneus glisser sur les graviers de la ferme et pose le pied à terre, coupe le gps. Je souris, souris encore. Inimaginable il y a un an, et je l’ai fait. On se retrouve avec les copains, se félicite, partage ce qu’on a vécu, ce que personne d’autre ne peut comprendre. Quel bonheur.
PS: un tout grand merci à l’orga aux petits soins à tout moment!
Magali Clerbaux
D’autres BBB ont participé à BikeWay to Hell, certains sur les 555 kilomètres. Bravo à tous !